Au hasard du fil twitter j’ai découvert une chronique pathétique qui reflète bien l’enfermement de ceux qui se baptisent, à juste raison souvent, « grands amateurs de vin ». Sans ironie aucune je comprends leur détresse lorsqu’ils constatent qu’ils en sont réduits à drainer sur leur blog le contenu d’une cabine téléphonique chère aux radicaux, je parle ici du parti politique et non des naturistes radicaux.
L’érosion du lectorat des blogs spécialisés vin est une réalité que je ne saurais nier, mon espace de liberté a connu un certain tassement, tout a commencé lorsque les commentateurs ont migré sur Face de Bouc pour s’écharper, s’invectiver, déverser leur bile ou leur mal être.
Alors que chaque jour depuis des années s’affichaient plus de 1000 visiteurs uniques le compteur oscillait entre 700 et 900, avec même parfois des trous d’air.
Que faire ?
Fermer la boutique, la tentation m’a effleuré, à quoi bon s’astreindre à écrire chaque jour si les lecteurs ne sont plus, ou plus exactement sont moins nombreux à être au rendez-vous matinal ?
À chaque fois que j’exprimais ma lassitude un carré de fidèles me sommait de continuer. Lorsque j’ai dû, après ma lourde gamelle à vélo et mon séjour à l’hosto, laisser mon espace de liberté blanc, les témoignages d’amitié et de fidélité m’ont ému et conforté.
Mais pour remettre à nouveau l’ouvrage sur le métier il me fallait trouver des sujets qui débordent le domaine stricto sensu du vin et de ceux qui l’aiment ou disent l’aimer.
Ce que les adeptes du moulin à prières vin n’ont pas compris, ou n’ont pas les moyens de comprendre, c’est que le monde du vin est bien étroit, très autocentré, cultivant l’entre soi et une forme d’élitisme ; en une formule un peu brutale et réductrice je leur signale : « il n’y a pas que le vin dans la vie ! »
Les gens, comme dirait notre Merluchon, du moins ceux qui surfent sur le Net, saturés d’informations, sont des citoyens, des consommateurs : je désigne là surtout la consommation alimentaire, des passionnés de musique, de livres, de cinéma, de théâtre, d’art, de sports, tout ce qui fait leur vie, la vie que nous vivons. Les commentaires de dégustation et les notes ça les intéresse à l’occasion mais ça ne les fidélise pas. Certains, se la jouant Parker au petit pied se sont mis dans la tête de nous faire payer leur jus de tête et c’est la catata.
Alors je me suis dit que pour participer à l’Extension du domaine du vin il fallait élargir la focale, ouvrir l’angle, embrasser sur mon espace de liberté une variété de sujet, laisser la place au débat, donner la parole à ceux qui sont dans la vigne et qui font le vin, être éclectique, attentif, emprunter les chemins de traverse, mettre en avant les invisibles, aborder les sujets qui fâchent, bosser sur des dossiers complexes, fuir le moi je, innover… Bref, tout à la fois informer, confronter les points de vue, ne rien s’interdire, investir des champs ignorés.
Une telle approche libre des entraves commerciales ça déplaît aux bonzes qui s’accrochent à leur fonds de commerce comme les moules sur un rocher, ça ne irrite aussi les révolutionnaires en chambre, pour ces engeances les bons débats c’est entre soi, pas de contradicteurs, dans des lieux chics où l’on dit réfléchir alors qu’on se contente de déguster des vins comme il faut entre grands amateurs, ou dans des lieux plus trash où l’on se la joue défenseurs de ces pauvres petits paysans laminés par l’hydre libérale.
Ce n’est pas ma tasse de thé, ça ne l’a jamais été, je trace ma route lesté de mon histoire, de mes choix, de mes passions, de mes amours, de mes contradictions, je n’en tire aucune gloire, je me contente de vivre en consacrant une parcelle de mon temps de « vacancier éternel » à écrire.
Je vais vous faire une confidence, j’ai assisté pour faire plaisir à ce genre de pinces-fesses, soit conservatoire de vieux messieurs qui occupent leur temps, que d’ennui, de propos de table insignifiants, de discours de tribune creux, de vacuité, café du commerce revisité soit estrade militante, sympathique, face à des convaincus qui ne veulent entendre que ce qui conforte leur idéologie.
Comme l’époque est à la transparence je vais vous donner le bulletin de santé du lectorat de mon blog. J’avoue que suis étonné, pour moi le tassement était durable, que rien ne pouvait inverser la tendance, j’avais tort. Les chiffres de septembre et octobre montrent un redressement brutal qui me ramène à l’étiage des meilleures audiences.
Sera-ce durable ou n’est-ce qu’un feu de paille ?
Je ne sais, mais ce que je sais c’est que les supports de ce redressement sont les chroniques qui ne traitaient pas du vin. On va me rétorquer que mon blog n’est plus un blog vin mais un blog attrape-tout. C’est un peu vrai mais c’est faux aussi car dans le mouvement de progression des sujets vin on fait des scores plus qu’honorables. Mes lecteurs fidèles sont toujours là, ils n’ont pas décroché ; parmi les lecteurs occasionnels certains s’abonnent. La pelote se défait et se refait.
J’en suis là, je ne roule pas des mécaniques mais, comme le disait Robert Lamoureux, le canard est toujours vivant. Jusque quand ?
Allez bon vent chers collègues bloggeurs, y compris celui-ci qui vaut son pesant de cacahuètes pour apéritif.
« Avec le TEMPS, et dans ce monde de la communication tout azimut où le faux côtoie régulièrement, et à haute dose, le vrai, l’outil « BLOG » selon même sa nature et son contenu, a profondément changé.
Soyons lucide : sur ce blog, alors qu’il fut une époque où les « visiteurs » dépassaient allègrement les 300 journaliers et où les billets se succédaient à un rythme conséquent avec des commentaires nombreux, il nous reste une poignée de fidèles qu’on se doit de remercier chaleureusement. Les statistiques WordPress sont redoutables :
Il est évident que depuis notre premier blog sur « ma bulle » cela fait dix ans qu’on baragouine sur le monde du vin. Voilà une période de vie, comme celle du … qui a duré 20 ans, qui laissera de bons souvenirs. Depuis les batailles épiques avec certains zeus dont le langage frisait la correctionnelle jusqu’aux soutiens de quelques grands noms discrets, on a vécu des échanges passionnants.
En fait, les lecteurs sont de justes juges de la chose : les novices en vin se contentent de blogs au ton espiègle avec des écritures actuelles; les plus passionnés sont particulièrement satisfaits de LPV qui reste incontestablement le forum majeur en France; et une bonne portion des premiers lecteurs, en 2008, 2009 ne ressent plus l’ardente nécessité de passer du temps à lire une prose aléatoire, trop souvent clivante, je le reconnais.
Même d’autres blogs comme celui de Bizeul ou celui de Nicolas de Rouyn connaissent la dure loi de gauss. Aux USA, c’est celui de Parker qui a connu une chute impressionnante ! Si on sautait un jour, du temps des grandes heures, on avait plusieurs pages de nouvelles interventions à lire alors que maintenant, même après un mois, on retrouve le fil de pauvres discussions sans grand intérêt.
Loin de nous de déverser de quelconques acrimonies ! Ce phénomène est totalement accepté et le premier coupable reste ma pomme qui n’a pas su, qui n’a pas voulu se mettre au diapason des attentes actuelles. À 72 balais, on ne se refait point !
A cela s’ajoute le fait qu’on commence à avoir pas mal de redondances ! Nos lecteurs habituels ont compris depuis des lustres que notre passion actuelle va vers les vins bourguignons, allemands, autrichiens, suisses où le fruit est net et jouissif. Ils ont aussi compris que s’il fut un temps où je donnais une certaine importance à l’étiquette, j’ai autant de plaisir à parler d’un Marionnet que d’un Belle-Vue médocain ou d’un Haut-Carles dont les derniers millésimes dégustés sont enthousiasmants.
Bref : comme j’aime écrire – un redoutable virus – et n’ayant surtout pas comme but premier de générer des paquets de lecteurs, je continuerai à écrire mais avec un changement sensible, à savoir toucher d’autres sujets que le vin, comme la lecture, la musique et la politique tant il est vrai que dans ces domaines, il y a pas mal de choses à dire.
[…]
C’est une activité qui m’occupe avec passion tant je souhaite dire à quel point le vin européen a deux dimensions uniques : la culture et l’histoire. C’est particulièrement incorrect d’asséner une telle vérité mais le vin européen a été et doit rester une des pierres de notre civilisation passablement chahutée en ce moment.
Et qui sait ? Un jour, dans deux ou trois générations, un étudiant en fin d’acné juvénile trouvera dans ce blog la matière à une analyse lucide sur les vanités humaines. Rien que pour lui donner matière à chapitres, nous allons donc continuer à écrire.
Une telle combinaison d’orgueil et de vanité, finalement, c’est assez rare, n’est-il pas ?