Comme mes fidèles le savent j’ai occupé, au temps de mes culottes courtes, les éminentes fonctions d’enfant de chœur à la paroisse Saint Jacques le Majeur de la Mothe-Achard.
Même si je dusse choquer certains d’entre vous la cérémonie que je préférais, avec les Rogations (là c’était dans les champs), c’était les enterrements car nous allions accompagner le ou la défunté (e) au cimetière.
Nous précédions le corbillard tiré par une haridelle poussive drivé par je ne sais plus qui, ma mémoire flanche. Je me souviens des plumeaux, des cordons du poêle, du cérémoniel mais pour le nom du cheval et de son cocher que dalle !
Nous revêtions les soutanes noires, surplis blanc empesés par les bonnes sœurs, au tour du catafalque dans l’église je passais l’encensoir au curé pour enfumer notre client (désolé) puis, flanqué de mes deux assesseurs portant leurs faux cierges calés à la hanche, je portais la croix. Le curé nous suivait drapé dans sa chasuble noire brodée de fils d’argent, un enfant de chœur à ses côtés portait le seau du goupillon rempli d’eau bénite qui servirait au cimetière à asperger le cercueil avant qu’il ne soit descendu dans la fosse ou pour les riches glissé dans le caveau familial.
Nous passions devant le Bourg-Pailler.
Le corbillard de Vercel - Arnaud Poirier - france-sire.com
Tout ça sans tambour ni trompettes, seuls les ahanements de la haridelle, le bruit de ses sabots sur le macadam, ses flatulences, ponctuaient notre montée vers le cimetière. Parfois, le cheval faisait une pause pour se soulager en liquide ou en solide, ou les deux à la fois, ça nous faisait prendre des fous-rires de penser que les accompagnants allaient patauger dans le crottin ; des garnements nous étions mais il n’y avait aucune malice de notre part, hormis ce petit moment de relâchement nous gardions notre sérieux, le curé-doyen Bailly y veillait.
Au retour, le corbillard revenait au petit trot et nous nous retroussions nos soutanes pour courir derrière, je portais la croix sur mon épaule comme Jésus au Golgotha, en plus décontracté bien sûr.
Mon rêve caché c’est un enterrement avec de la musique comme ici dans le roman de Maurizio De Giovanni L’été du commissaire Ricciardi.
« Quand Ricciardi et Maione tournèrent l’angle de la piazza Santa Marie la Nova, les attendaient des funérailles de première classe. Le corbillard était déjà arrivé et à lui seul, il était tout un spectacle. Huit chevaux attelés deux par deux, noirs, grands et magnifiques, écumaient sous leur charge et sous la chaleur : sur la tête un grand plumet, noir comme le harnais. Spécialement dressées, les somptueuses bêtes ne faisaient aucun bruit : pas un piétinement, pas un hennissement ou un ébrouement. Derrière eux le corbillard proprement dit : une marqueterie rococo de bois, de stuc et de verres translucides. Un dernier voyage en grand pompe, sous les yeux émerveillés de l’assistance.
Le silence qui écrasait la place n’avait rien de naturel. Une foule bigarrée s’entassait le long des demeures et de l’église ; seul l’espace autour du corbillard était vide, comme si la mort, dans sa représentation la plus populaire, était contagieuse. Le cocher, en queue-de-pie noire, coiffé d’un chapeau haut de forme brillant, attendait, debout, son fouet à la main, près de la roue arrière plus haute que lui. Devant, en quête d’un espace ombragé, les huit musiciens qui allaient ouvrir le cortège et jouer des marches funèbres attendaient en fumant et en maudissant la chaleur ; le soleil éclaboussait les instruments posés à terre et qui lui renvoyaient des éclairs dorés. »
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« De la partie ouverte du portail sortit don Pierino qui avait revêtu les parements des funérailles, deux enfants de chœur à ses côtés. Derrière lui, le cercueil, en bois sombre sculpté, porté sur les épaules par quatre croque-morts. Le prêtre bénit la bière qui fut hissée dans le corbillard. Le soleil désormais haut dans le ciel rendait la chaleur insupportable. »
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« Une fois la porte du corbillard fermée, le cocher monta sur son siège et fit claquer son fouet. Les musiciens attaquèrent la marche funèbre de Chopin et les chevaux se mirent en route, calquant leurs pas sur le rythme de la musique. »
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« Le cortège funèbre devait parcourir la première partie du rectiligne corso Umberto pour se dissoudre piazza Nicola Amore : pour les Napolitains, il s’agissait toujours du Rettifilo et de la piazza Quatro Pallazzi : un trajet d’une certaine longueur, surtout sous ce soleil brûlant. À chaque pas martial des huit chevaux la foule s’amenuisait, au fur et à mesure qu’elle se rendait compte que les principaux protagonistes avaient tirés leur révérence et que la représentation n’offrirait plus de coups de théâtre. »
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« Au passage du cortège, les magasins encore ouverts fermaient, les femmes se signaient et les hommes portaient la main au chapeau dans un geste de salut militaire. »