« Dans toute la France, il y a un proverbe qui dit « Faute de grives, on mange des merles » ; la Corse seule, après avoir lutté inutilement pour sa nationalité politique, a lutté avec plus de bonheur pour sa nationalité culinaire, et parmi nos départements, il est le seul qui continue à dire « quand on n’a pas de merles, on mange des grives ». C’est que les merles de Corse ont une saveur toute particulière qu’ils doivent aux baies de genévrier, de lierre, de myrte, de nerprun, aux graines de gui, aux fruits de l’alisier, de l’églantier.
Aussi la Corse ne se contente-t-elle pas de manger ses merles, elle en envoie à pleines terrines dans toutes les parties du monde ; il suffit pour les conserver de verser dans un vase de grès du saindoux fondu et de jeter dans ce saindoux des merles plumés dont on a enlevé les gésiers ; le saindoux se prend sur eux, les enveloppe d’une couche de grasse que l’air essaie inutilement de percer, et qui les conserve pendant des années.
M. le cardinal Fesch donnait de fort bons dîners dont les merles de Corse faisaient le principal attrait gastronomiques.
Il est bon de tirer de cette graisse autant de merles qu’on en veut manger, de les passer à l’eau chaude pour leur enlever leur enduit huileux, après quoi on les assaisonne comme les ortolans, comme les becfigues, et enfin comme tous les petits pieds. Quant aux merles frais, ils subissent tous les modes de cuisson qui s’appliquent aux grives. »
Ainsi écrivait Alexandre Dumas père, au soir de sa vie, dans son Dictionnaire de cuisine publié en 1872, puis en 1882, et réédité en 1998.
Toute ma science est tirée de l’excellent livre de Paul Silvani «Cuisine corse d’antan» chez Albania. Lire ses pages sur les merlaghi est pur délice. Si vous aimez la Corse achetez-le. Vous saurez tout, entre autres, tout sur l’azimu di meruli, littéralement la bouillabaisse de merles, et sur l’histoire des fameuses terrines truffées de Louis Guidon cuisinier-pâtissier rue Napoléon à Ajaccio qui la présentera, au milieu de 47 autres produits corses, à l’Exposition Universelle de Paris de 1855.
Plus grand monde ne se souvient – en dehors des vieux – qu’u capone, les merles, « qui dans leur chair savoureuse, ont pris toutes les saveurs du maquis – les cédrats et les arbouses. » Curnonsky et Austin de Croze fut un plat de choix pour les Corses. « Les Corses, chiches de leur poudre, ne s’attachent qu’à prendre ou à chasser les seuls merles, qui sont en effet très estimés et d’un manger exquis. » Fernand Dupuy (1776).
Il s’agissait d’une chasse au lacet qui déjà, entre les deux guerres, était de nature à émouvoir les bonnes âmes et elle fut interdite « sans pour autant empêcher l’activité des cappiaghjoli (les chasseurs de merles), des aubergistes et des fabricants de terrines. » C’est le Parlement européen qui en 1976 et 77 en interdit le commerce et, en 1985, la fabrication de terrines et de pâtés. Ainsi va la vie des hommes et des becfigues : les touristes se contenteront du pâté de sansonnet, autorisé lui, en laissant accroire qu’il fut aussi bon que celui de merle alors que le sansonnet n’est que le vulgaire étourneau.
Le merle corse fait de succulents pâtés
La région du cap Corse est austère, accidentée et peu peuplée. Elle compte néanmoins deux tables étoilées Michelin (La Roya, à Saint-Florent, et Le Pirate, à Erbalunga).
Le Monde | 28.09.2011 par Jean-Claude Ribaut
« Sur chaque plage, une paillote offre des charcuteries corses et le poisson du jour (Barcaggio : menu à 25 euros). On trouve encore les fameux pâtés de merle. Permis, interdit ? Les usages insulaires s'écartent parfois de la législation en vigueur sur le continent. Ces oiseaux ne sont-ils pas nourris d'olives, de baies de myrte et d'arbousier ? Leur succulence brave le procès-verbal ! »
23 février 1986 : « Pâté de merle : en voie de disparition »
Publié le 11 août 2017
La mesure pour la protection de certaines espèces s’est concrétisée au plan européen. Au mois de juin, la vente sera interdite.
Le département de la Haute-Corse compte un important laboratoire de production de terrines : les «conserves Corsica » (Maison Alessandri), à la sortie nord de Bastia, distribue 50 000 boites par an, et 80% du chiffre d’affaires étaient représenté par le pâté de merle et de grive.
Pour compenser la disparition de ce marché, les producteurs demandent des primes, des allègements fiscaux et des prêts à taux faibles.