Par bonheur, avant le couvre-feu, j’ai acquis chez Gallimard, un gros roman, 880 pages (voir plus bas)
J’en suis qu’à la page 57 et j’ai décidé de prendre la place du narrateur Koja.
Nous sommes dans une famille aristocratique allemande, vivant dans la Courlande lettonne à l’heure où l’État letton prend forme après avoir viré les rouges. Elle est ruinée, ses terres expropriées, une surface de la taille de la principauté d’Andorre sont réparties entre deux mille paysans lettons ravis. Le château au bord de l’eau d’Oppapabaron fut transformé en internat de campagne.
Le père, peintre portraitiste, se voit privé de ses riches amateurs. « Fauchée comme les blés » répétait-il. Plus de personnel, la mère qui n’avait jamais lavé une seule assiette ni repassé le moindre drap de sa vie, comblait avec acharnement ses lacunes, allant jusqu’à s’essayer aux fourneaux lorsqu’il y avait de quoi manger. Mais même les orties peuvent être cuisinées avec plus ou moins de bonheur. Avec la mère on aurait dit qu’elles venaient d’être cueillies.
La famille a recueilli Eva, dite Ev, car sa famille a été massacrée par les bolchéviques. Elle a 10 ans et sert de modèle, le visage, au père qui travaille sur sa première grosse commande d’après-guerre : des illustrations du Kamasutra sous forme de fresques pour un nouveau bordel lancé par un profiteur de guerre dans la Elizabetes iela.
La mère devait ne rien savoir de cette commande indigne.
Au sommet de corps de femmes effeuillées et bachiques il peignait des ovales blancs.
Ev possédait un profil intelligent et prudent sans être effarouché, qui n’avait rien à envier à la jeune Mata Hari en éclat et lèvre supérieure trop courte, et elle avait tant de visages qu’ils trouvaient leur place sur tous les corps de femme.
Le père se concentrait sur cette variété de physionomie, sur la richesse de ses expressions, sur son regard et sur toutes les nuances de l’extase que la petite Ev donnait à voir par ses mimiques. À l’atelier, il lui arrivait souvent de devoir garder les muscles de son visage contractés une demi-heure durant, le temps que le père, de la pointe de son pinceau, reproduise ses traits sur l’ « entremêlé », le « cheval à bascule » ou le « nirvana ».
vignes enlacées
La position de pénétration, allongés sur le côté, face à face, permet quelques variantes intéressantes. Généralement, ces variations permettent de prolonger les étreintes, de varier les caresses et les baisers, comme les mouvements en harmonie des corps.
Toutes les positions ICI
Voici le succulent dialogue entre Ev et Koja l’un des deux garçons de la famille, le narrateur de l’histoire :
- Tu sais ce qu’est une position ? me demanda Ev un soir.
Je connaissais la position sociale, le positionnement militaire lors d’une bataille, la posture corporelle, la pose de papier peint et l’écart des étoiles les unes par rapport aux autres, qu’on appelle plutôt constellation.
- Non, Koja, je parle des pratiques sexuelles.
- Tu n’as pas le droit d’utiliser ces mots.
- Et pourquoi pas ? Papa (ndlr elle a été adoptée) m’a tout expliqué.
Désormais, elle avait le droit d’appeler Theo (ndlr le père) « papa », bien qu’il eût d’abord penché pour « père », voire par moments pour « oncle ».
- Pourquoi il ferait une chose pareille ? demandai-je, interdit.
- Eh bien, les murs de l’atelier sont recouverts de draps. Et l’autre jour, alors qu’il était en train de me peindre, l’un d’eux est tombé, et il a été obligé de dire quelque chose.
- Ah bon.
- Oui, car sur le mur, il y avait une indienne, avec des perles et rien d’autre, et un Indien tout nu accroupi derrière elle comme un chien. Comme ça.
Elle me fit la démonstration.
- Papa était très gêné, et je ne dois surtout pas en parler. Il m’a expliqué ce qu’était un phallus.
- Quoi ?
- Un phallus. Quand le pénis grandit, ça s’appelle un phallus. Toi aussi, plus tard, tu en auras un. Mais je ne dois rien dire.
- Alors pourquoi tu en parles ?
- Parce que j’aime bien ne rien dire avec toi.
- Ça devait être affreux à voir.
- Oui. Tu veux venir regarder ?
- Non.
- Je sais comment entrer sans clé. L’atelier est en chantier.
- Papa me battrait comme plâtre.
- J’ai tout regardé de près. Il y a même un tableau avec une Indienne qui a un phallus dans la bouche.
- Je n’y crois pas.
- Je te jure.
- On lui ferait pipi dans la bouche ?
- Non, c’est avec ton pénis que tu fais pipi. Et dans la bouche tu mets seulement ton phallus, pas ton pénis.
- C’est vraiment dégoûtant.
- Non, c’est une position complètement banale.
- Papa ne peint pas ce genre de choses. Non, papa ne peint pas ce genre de choses.
- Pourquoi tu pleures, Koja ? Pardon. Excusemoi, je t’en prie. On se prend dans les bras et dawenen zu dem gutn got, jo – on prie le bon Dieu d’accord ?
Riga
Lituanie
Création du carré blanc à la télévision.
Il fut mis en place la première fois le 25 mars 1961 pour la diffusion du film « Riz amer » de Giuseppe de Santis, 1948, avec pour interprètes miss Rome, la superbe Silvana Mangano et Vittorio Gassman; probablement l’un des meilleurs films du néoréalisme italien.
En réalité, la création du fameux carré blanc à la télévision avait été dû à la diffusion de « L’exécution » de Maurice Cazeneuve où apparaissait un nu féminin pendant un très court instant. Le but de ce carré était de prévenir des émissions qui présentaient de la violence ou de la pornographie. C’est ainsi que de nombreux films furent affublés du fameux carré : Ivan le Terrible, Hôtel du Nord, La femme du boulanger (eh oui !), French cancan et Les désaxés.
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L’écrivain allemand Chris Kraus traverse le XXe siècle en compagnie d’un criminel nazi passant après-guerre au service de la RFA. Une épopée révoltante et un grand roman.