Au temps où Pierre Jancou tortorait chez les parigots, au bar d’Heimat, nous lichions des lampées de vin nu en échangeant sur tout et rien, et c’est ainsi que Pierre me conseilla de lire Chaud brûlant de Bill Buford.
Ce que je fis.
18 avril 2015
L’érotique ragù « Mi da libidine » de Gianni Valdirisi vu par Bill Buford et Pierre Jancou ICI
Pierre Jancou est sans concession « Le ragù mérite une thèse. La thèse d’une vie. Les gestes, la patience… Il faut sentir, comprendre ce plat « patrimoine », avant même oser en parler ! »
Dans son livre « Le coup de feu » Bill Buford raconte que lorsque Gianni Valdirisi s’était marié avec Betta « il avait été horrifié de s’apercevoir que, dans la précipitation, il avait omis de goûter à son ragù. Celui-ci qu’elle avait appris auprès de sa tante, avait été transmis par des générations de femmes de sa famille et serait forcément différent du ragù que Gianni avait mangé à la table de ses parents, à savoir celui de sa propre mère, dont la saveur profonde et complexe le touchait tout au fond de l’âme. »
« Un ragù, affirmait-il, était une chose très personnelle. Aussi imaginez son bonheur quand, goûtant pour la première fois au ragù de Betta, il s’aperçut que, en effet, il était différent de celui de sa mère… et meilleur. »
Et le ragù, prévient Pierre Jancou « n’a rien à voir avec cette sauce pseudo-bolognaise à la française qui, ironie du sort n’existe pas là-bas. » C’est ce que retient une pâte de la catégorie « sorties » comme les orecchiette : « une minuscule larme de sauce dans leur pavillon » note Buford.
Photograph: Ashley Gilbertson/New York Times/Redux/eyevine
Romans non-traduits, nanars introuvables, bizarreries oubliées… François Forestier dégaine ses livres du second rayon. Cette semaine, toqué de toques.
Bill Buford, l’Américain qui voulait apprendre la gastronomie française en accéléré ICI
Bill Buford est incontestablement un Américain louftingue, probablement crazy, définitivement astap. Dans les années 1980, il pilotait avec talent une revue littéraire géniale, « Granta », et, brusquement, il a décidé de prendre la plume, persuadé que l’écriture (dans la tradition yankee) exigeait de se colleter au monde, donc de voyager, de se bagarrer, de plonger dans le baquet, d’affronter les dacoïts du Middlesex et les ragazzi de la banlieue italienne. Dans son nouveau livre « Dirt », il explique avec entrain son ambition : avoir un tablier de cuisine avec son nom brodé sur la poitrine. En conséquence, à 66 ans, il décide de venir en France, pour apprendre en quelques mois (c’est bien américain, ça, faire speedy) les subtilités de la French Gastronomy. Le sous-titre du livre précise : « Adventures in Lyon as a Chef in Training, Father, and Sleuth Looking for the Secret of French Cooking ». Il va en baver, oui, le new Chef, mais c’est ça qui fait de la littérature (pour lui). Sans sueur, pas de livre.
Buford commence par lire le manuel classique d’Ali Bab (1907), apprend à dire « Merde ! » (il ne parle pas français, ce qui complique légèrement les choses quand on lui demande de fraiser la pâte à la main, avant de faire rissoler la crépine), cherche à rencontrer Veyrat, pense que la Bourgogne se situe dans le Nord de la France, vénère Paul Bocuse et demande un visa de travail à l’administration française. Un fonctionnaire l’interviewe en français, et prend les empreintes digitales de ses enfants (tout petits). Buford arrive à Lyon, cherche un appartement, mange de l’andouillette (« qui vous donne l’impression d’habiter dans l’estomac d’une bête »), lit Brillat-Savarin (1825), rencontre Daniel Boulud, passe chez la Mère Brazier, cite Michel Viannay, et comprend (assez vite, pour un Américain) qu’on ne devient pas chef en regardant les émissions culinaires à la télé.
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