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19 novembre 2020 4 19 /11 /novembre /2020 08:00

124 quai des Chartrons

Le sieur Axelroud, grand lecteur du palmipède déchaîné réclame du pauvre vendeur de Vieux Papes que je fus que je m’expliquasse sur mes relations « sulfureuses » avec la maison Cruse :   « On en apprend de belles ! Le Taulier fricotait avec la famille Cruse ? Ca vaudrait une chronique ça »

 

Je n’en eu aucune puisqu’en 1979 le Monde annonçait : LA SOCIÉTÉ DES VINS DE FRANCE POURRAIT RACHETER LA SOCIÉTÉ CRUSE

 

La Société des vins de France (S.V.F.), premier négociant français de vins de table, pourrait racheter la célèbre maison de vins de Bordeaux Cruse. Plusieurs acheteurs sont sur les rangs, dont un important groupe britannique, et les négociations, très avancées, sont sur le point d'aboutir. Il semble que la S.V.F. soit la mieux placée pour emporter l'affaire.

 

Ce qui fut fait et, lorsque je pointais mon bec enfariné en 1986 au siège de la SVF sur le magnifique port de pêche de Gennevilliers la société Cruse était l’une des filiales de la SVF qui elle-même était une filiale du groupe Pernod-Ricard. J’ai d’ailleurs fat livré des GCC de chez Cruse chez l’un des membres du CA du groupe, dans son chalet des sports d’hiver, car il souhaitait régaler le Boss Patrick Ricard.

 

Lorsque j’allais à Bordeaux, j’appréciais le charme suranné de l’hôtel particulier du 124 quai des Chartrons. ce fut mon seul fricotage avec les fantômes de la maison Cruse.

 

Pour les Cruse, la « période compliquée » se situe au mitan des années 1970. En 1973, exactement. Après cent cinquante ans à tenir le haut du pavé bordelais, un tumulte retentissant vient tragiquement éclabousser la lignée en même temps qu’il fait vaciller tout le Médoc.

 

Dans le collimateur des inspecteurs des fraudes, des vins commercialisés sous l’étiquette « Bordeaux » mais arrangés avec des jus provenant du sud de la France ou d’Algérie. Dix-huit personnes dans le milieu des négociants doivent répondre en correctionnelle du « scandale des vins de Bordeaux ». Dont la maison Cruse, fils & frères. Jusque-là, producteurs et propriétaires font antichambre dans leur hôtel particulier.

 

La notoriété de la société est incontestable, son nom un sésame. Lionel Cruse, un ami de longue date et l’un des premiers soutiens de Jacques Chaban-Delmas en campagne pour les présidentielles face à Valéry Giscard d’Estaing.

 

Est-ce à cette proximité politique que les Cruse doivent d’avoir vu leur sort basculer ?

 

La presse fait ses gros titres avec les Cruse. Petits et grands sont au cœur du maelström. Les amis d’hier tournent le dos.

 

Le scandale éclata réellement fin août 1973 avec des articles dont une double page dans le Nouvel Observateur, suivi du Canard Enchainé qui titrait sur cette « fraude généralisée à Bordeaux ». Le Canard Enchainé ajouta une dimension politique au scandale : toute cette affaire était une excellente nouvelle pour le ministre des Finances de l'époque, Valéry Giscard d'Estaing, dont le principal rival politique de droite pour l'élection présidentielle de 1976 n'était autre que Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux et un ami de longue date et allié du monde du vin du quartier des Chartrons. Le mot de la fin du Canard Enchainé annonçait « un autre point pour Giscard ! Pauvre Jacques ! »

 

Durant le procès, des ténors du barreau s’affrontent. Jean Loyrette lave l’affront fait aux Cruse.

 

En face, il y a Robert Badinter.

 

La société Cruse fils & frères gagne en appel.

 

Mais pour éponger les dettes, la maison est vendue (à la SVF) en 1979.

 

Afin de tenter de renflouer l'affaire, la famille Cruse fut contrainte de vendre le château Pontet-Canet, grand cru classé du Bordelais, puis sa participation majoritaire dans la société Lionel J. Bruck, propriétaire de la marque Cruse pour les vins de Bourgogne, de Chablis, du Beaujolais et des Côtes-du-Rhône. C'est la Société des vins de France qui s'était portée acquéreur de cette société. La société Cruse reste cependant l'une des dix premières sociétés bordelaises de négoce.

 

Château Pontet-Canet - Wikipedia

 

La Société des vins de France, créée en 1973 du regroupement de Margnat et de la Société d'approvisionnement en vins (SAPVIN), est de loin le premier négociant français. Commercialisant environ 5 millions d'hectolitres de vin par an (soit 15 % du total), elle a réalisé en 1977-78 un chiffre d'affaires de 1,009 milliard de francs. Elle est spécialisée dans le vin de table (marques Préfontaines, Gévéor, Margnat, Kiravi, Grap, Postillon, etc.), mais commercialise également des vins fins (Berthet, Maîtres Vignoux, Combastet), et des apéritifs (Bartissol). Ses actionnaires principaux sont le groupe Pernod-Ricard, la SAPVIN, l'Union d'études et d'investissements (filiale du Crédit agricole) et la Banque de Paris et des Pays-Bas.

 

La fin d’une époque. Mais aussi la remise en cause du fonctionnement de ces grosses maisons de négoce.

Winegate » : le scandale qui secoua le monde du vin bordelais en 1973 - Le  Bordeaux Invisible

L'autre " scandale " : 60 000 hectolitres et un colorant

 

Bordeaux. - On ne s'indigne plus à Bordeaux, on s'inquiète. Chacun comprend maintenant - et les appels téléphoniques des agents de vente à l'étranger le confirment - que la fraude sur le vin pourrait devenir pour la région une catastrophe économique. Toute personne concernée par cette affaire tend donc à la minimiser et à ne plus y voir qu'une simple fraude sur le papier : " rassurer le consommateur ", telle semble être la devise. Pourtant, sur le terrain, les agents de la répression des fraudes, qui ont maintenant la certitude que 15 000 à 20 000 hectolitres de vins du Midi ont été " baptisés " vins de Bordeaux entre mars et juin 1973, cherchent la destination de ces vins. La visite qu'ils ont faite, mardi 28 août, chez deux négociants pour essayer de déterminer si des traitements interdits ont été effectués sur ces vins " pourrait donner une orientation nouvelle à l'enquête ".À Paris, les organismes officiels s'inquiètent aussi, et le directeur de l'Institut national des appellations d'origine (INAO), M. Perromat, a réuni le 29 août une conférence de presse pour rappeler que six mille contrôles avaient été réalisés en 1972 par l'administration des finances, et quatre mille par la répression des fraudes. Il a affirmé que l'INAO se porterait partie civile contre les négociants indélicats si les fraudes étaient reconnues. Tentative pour remonter la pente ? Mais cela sera-t-il possible ? La découverte d'une très importante fraude vieille de près de trois ans, jusque-là tenue secrète n'y aiderait pas.

Par BRUNO DETHOMAS. Publié le 31 août 1973

 

Saint-Germain-de-Grave est une petite commune des côtes de Bordeaux dans l'Entre-Deux-Mers. Si petite qu'il n'y a pas le moindre café, tout juste un magasin. C'est là que, le 22 juin, les services spécialisés dans la répression des fraudes effectuaient " une descente " qui allait faire naître le " scandale " du vin de Bordeaux.

 

Dans un petit hangar comportant quatre cuves - 1 200 hectolitres, au plus, - cette brigade spécialisée a saisi du vin et fait des prélèvements. Le propriétaire du chai, M. Guy Ballarin, affirme n'être pour rien dans la fraude. " Comme j'avais été condamné à payer une amende importante au fisc, à cause de ma comptabilité, je louais mon hangar à M. Serge Balan. Cela me permettait de payer mon amende. "

 

S'il est difficile de dire quel a été le rôle exact de M. Balan, le nom le plus souvent prononcé actuellement à Bordeaux est celui d'un courtier, ancien négociant, M. Pierre Bert, très au fait des subtilités administratives.

 

Rue d'Aviau, cette rue où se sont réfugiés les grands négociants lorsqu'on a construit des hangars sur le quai des Chartrons, M. Pierre Bert habite " du mauvais côté ", c'est-à-dire qu'il n'est pas adossé au Jardin public. Et si la maison a l'austérité qui convient au négoce du vin à Bordeaux, le bureau où travaille M. Bert est franchement sinistre.

 

Très bavard, il y a quelques jours M. Pierre Bert est devenu plus prudent : " Pourquoi tant de bruit pour une si petite affaire, dit-il ; tout cela est extrêmement regrettable pour le vin de bordeaux. "

L'interroge-t-on sur ses rapports avec M. Balan ? " C'est un ami, répond-il, je suis son seul courtier. " Et, si on lui parle de coupage, il n'hésite pas à affirmer : " C'est une opération normale dans le Bordelais. Les mélanges sont faits constamment dans l'intérêt de la clientèle. "

 

En fait, telle qu'elle aurait été démontée par l'administration, la fraude aurait porté sur les acquits à caution, ce document administratif qui doit accompagner obligatoirement toute circulation du vin. Profitant de ce que la partie de ce document qui doit être renvoyée à la régie d'origine ne comporte pas d'indications sur la qualité du vin, la société Balan aurait fait d'un vin de table du Midi un bordeaux d'appellation contrôlée. L'opération était facilitée par le fait que M. Balan disposait de " la machine ", autorisation accordée par l'administration à un négociant de timbrer lui-même ses acquits sans aller à la régie pour chaque opération.

 

Ainsi métamorphosé de " vulgaire piquette " en honorable bordeaux, ce vin était revendu - " à des prix intéressants ", explique M. Bert - à des négociants connus sur la place. " Je travaillais depuis longtemps avec la maison Cruse ", ajoute le courtier.

 

C'est ainsi que cette maison honorable - depuis cinq générations dans le négoce du vin à Bordeaux, elle est le principal exportateur des négociants bordelais - se trouve mêlée au scandale.

 

Le refus, le 28 juin, de laisser la brigade spéciale pénétrer dans ses locaux - " cela m'aurait obligé à fermer pendant huit jours ", dit M. Lionel Cruse, mais d'autres Chartrons parlent de " gaffe monumentale " - la font suspecter de complicité par certains. D'autant, dit-on, que, " à la dégustation, les experts de la maison Cruse ne pouvaient pas ne pas s'apercevoir de la différence ".

 

M. Lionel Cruse s'en défend. S'il reconnaît que " la dégustation est la seule chose qu'un négociant ne délègue jamais ", il ajoute : " tout cela est subjectif. Un vin qui est bon pour les uns ne l'est pas pour les autres, surtout pour ce qui n'est qu'un bordeaux ordinaire. "

 

Dans cette affaire, ce qui semble avoir choqué M. Cruse, c'est un certain changement dans les règles du jeu. Jusqu'à présent, toute visite de contrôle était annoncée quatre ou cinq jours à l'avance par l'administration. Or, le 28 juin, le contrôle fut inopiné. Changement des règles du jeu aussi, mais cela ce n'est pas M. Cruse qui le dit, dans la loi du silence qui régnait chaque fois qu'une fraude était découverte. " Pourquoi cet étalage public, alors que des affaires beaucoup plus graves ont été couvertes ", nous a-t-on dit à plusieurs reprises dans des conversations où l'on sentait sourde l'inimitié profonde qui peut exister entre négociants et producteurs.

 

Si dans l'affaire actuelle ces derniers sont totalement innocents, il n'en a pas été de même il y a près de trois ans. Or tout le monde a couvert la fraude. La cave coopérative de l'une des communes les plus renommées du Bordelais s'était alors vu interdire de vendre les 60 000 hectolitres qu'elle avait dans ses chais, parce que l'administration aurait décelé, par analyse, la présence dans ce vin d'un colorant chimique jugé nocif. Non seulement les poursuites auraient été suspendues, mais les mauvaises langues se demandent même où est passé ce vin.

 

Cette " nouvelle " affaire ne facilitera pas la tâche de ceux qui veulent rassurer le consommateur à tout prix. M. Bert, démentant ce qui se disait à Bordeaux à la fin de la semaine dernière, affirme que tout le vin a été vendu sur le marché, " ce qui est bien la preuve, selon lui, que le vin n'était pas trafiqué ". Et M. Lionel Cruse tient à rappeler que pas une seule de ses bouteilles n'a été mise sous séquestre. " Depuis le 28 juin, je n'ai reçu aucune visite de l'administration ", ajoute-t-il.

 

Le précédent du chianti

 

Autre preuve avancée de l'innocence des responsables de la fraude, le silence de la justice. On tend à faire accroire ainsi que la fraude est uniquement fiscale, puisque des faux en écriture ou une fraude sur le produit, délit de droit commun, relèverait de la justice. Pourquoi tarde-t-on à ouvrir une enquête sinon une information au palais de justice de Bordeaux ? " Le procureur de la République est en vacances ", dit-on, ce qui arrange tout le monde, et, s'il est revenu deux jours au début du mois d'août, nul ne semble savoir si le dossier de l'affaire lui a été communiqué. Pourtant, on affirme bien au service de la répression des fraudes que la fraude " sur le papier " avait pour but unique de cacher " la fraude sur le produit ".

 

Une chose en tout cas est certaine pour tous les négociants, et particulièrement pour les maisons dont l'activité principale est l'exportation : la révélation des fraudes " tombe " à un mauvais moment.

 

Si la baisse des cours - 2 700 F au tonneau de 900 litres, fin août, contre 5 000 F en février - est liée aux prévisions sur la prochaine récolte, dont on dit qu'elle sera bonne qualitativement comme quantitativement, les considérations économiques n'en sont pas moins inquiétantes.

 

Tout d'abord, l'ambiance risque d'être particulièrement mauvaise dans les discussions entre propriétaires et négociants, alors même que certains espéraient mettre enfin sur pied des contrats de progrès qui auraient stabilisé les rapports entre ces deux professions aux intérêts souvent divergents.

 

Mais surtout la crainte de perdre certains marchés étrangers est profonde. Les négociants, qui avaient étalé la répercussion des hausses de prix en puisant dans leurs stocks afin de ne pas briser le marché, sentent, depuis juillet - époque à laquelle la hausse a été répercutée entièrement sur le marché américain - quelques réticences des consommateurs étrangers. Si " la confiance dans le produit " n'existe plus, les pertes financières, liées à une diminution des marchés étrangers, pourraient être catastrophiques pour certaines maisons. Aussi les Chartrons méditent-ils amèrement l'expérience du " scandale " faite par le chianti il y a quelques années. Les vins italiens n'ont pas mis moins de cinq ans à regagner le marché américain.

 

BRUNO DETHOMAS.

Winegate » : le scandale qui secoua le monde du vin bordelais en 1973 - Le  Bordeaux Invisible

« Winegate » : le scandale qui secoua le monde du vin bordelais en 1973  ICI 

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commentaires

A
j'ai bien connu le 124 quai des chartrons cet immeuble magnifique et gigantesque avec les chais , les salles de degustation , le restaurant <br /> j'y habitais avec ma grand mere gardienne et le jour ou les inspecteurs ont tapes a la porte monsieur lionel cruse lui a dit n'ouvrez pas mais finalement voyant leurs insistance elle a ouvert<br /> dommage que l'oncle cruse se soit suicidé suite a cette affaire
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P
Le Taulier exauce les souhaits plus vite que Lucky Luke ne tirait plus vite que son ombre.<br /> Merci .<br /> 5 ans pour les italiens à remonter la pente après le scandale des Chiantis .10 ans après les vins autrichiens à l'antigel ! Je ne suis pas meilleurs qu'un autre, même si mon ego me pousse à penser le contraire,* je reste toujours étonné devant ce besoin de tricher . Plus grand que mon ego, une incommensurable naïveté.<br /> <br /> * Laissons l'église au milieu du village et rappelons nous Talleyrand : "Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console." ou encore Paul Valery : “Je me suis rarement perdu de vue ; je me suis détesté, je me suis adoré ; puis, nous avons vieilli ensemble.” <br /> Purée de nous autres...!
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