Franklin Roosevelt, que beaucoup considèrent aujourd'hui encore comme l'un des meilleurs présidents du XXe siècle. Il adorait le Martini. Cela ne l'a pas empêché de surmonter la Grande Dépression et de vaincre les nazis. Avant la prohibition, il se fit livrer tout un stock de bouteilles dans sa maison de New York. Même les pères fondateurs de l'Amérique n'étaient pas en reste. John Adams siphonnait des litres de cidre corsé et George Washington était un inconditionnel du madère. Thomas Jefferson savourait le Chianti, les bordeaux et bourgogne. Quant à Abraham Lincoln, il condamnait les abus, mais possédait lui-même un commerce de vins. Une modération que n'avait pas Ulysses Grant, un alcoolique invétéré.
Du gin avec une larme de vermouth blanc sec. Telle est la recette d'un cocktail mythique, le dry martini, qui a marqué l'histoire, la littérature et le cinéma.
Truman Capote, Ernest Hemingway, Cary Grant, Humphrey Bogart ou Roosevelt le trouvaient fort à leur goût, 007 aussi. Pour rendre hommage à la Bond Girl Vesper Lund, James Bond rebaptise « Vesper » le premier dry martini qu'il commande dans le roman Casino Royale, en 1953.
Certains puristes recherchent le martini le plus sec possible, à tel point que Winston Churchill affirmait qu’un regard vers la bouteille de vermouth était suffisant. Luis Buñuel se contentait quant à lui de mouiller les glaçons de vermouth sans le mélanger au gin.
La recette personnelle de Luis Buñuel du dry martini :
« Garder les verres, le shaker et la bouteille de gin anglais au congélateur depuis la veille ; verser « quelques gouttes » de Noilly Prat et la moitié d’une cuillère à moka d’Angostura Bitters sur les glaçons qui doivent être précisait-il, trop froids, trop durs pour fondre, puis secouer, éliminer le liquide qui laisse un léger arôme sur les glaçons, et pour finir verser le gin très froid sur la glace, secouer de nouveau et servir. »
Dorothy Parker avait l’habitude de dire : « J’adore boire un ou deux dry Martini, avec trois je suis sous la table, avec quatre je suis sous mon hôte. »
En Afrique, sur le tournage d’African Queen, tous les membres de l’équipe se plaignaient des piqûres de moustiques sauf Humphrey Bogart. Son secret fut révélé par John Huston: « Dans la première partie de la nuit, il était tellement imbibé de Dry Martini qu’il ne sentait rien, ensuite de quoi, les moustiques étaient tellement bourrés qu’ils étaient bien incapables de piquer qui que ce soit… »
Lors du discours d'investiture de Franklin D. Roosevelt à la Convention démocrate de 1932 ce dernier déclara «... qu’à trois martinis était la quintessence de l'efficacité américaine. »
FDR avait une pratique de longue date consistant à organiser un cocktail avant le dîner dans la résidence de la Maison-Blanche pendant sa présidence. C'était un moment où il pouvait laisser tomber le fardeau de la charge à la fin de la journée et se détendre avec ses amis proches et sa famille. Les sujets liés à la politique ou à la politique gouvernementale ont été interdits de discussion.
Robert H. Jackson, membre du gouvernement, dans la biographie de That Man : An Insider intitulée Portrait de Franklin D. Roosevelt, déclarait : « Avant le dîner, nous avions habituellement des cocktails de martini préparés par le président. Je n'ai jamais su s'il prenait plus de deux cocktails, deux cocktails avant le dîner et peut-être ensuite un petit après. »
Selon son fils Elliott précise qu’il disposait d’une variété de recettes pour ses martinis, le gin de marque Plymouth. Certains n'aimaient pas la garniture combinée d'olives et de zestes de citron, d'autres rejetteraient son choix de jus de fruits…
Dans la Paix des dupes, Philipp Kerr fait dire à son héros Willard Mayer, un agent de l'OSS qui se trouve également être juif, d'origine allemande, que F.D. préparait des martinis trop fort en gin.
Son entourage lui conseillait d’utiliser différents ratios gin-vermouth: son fils, Jimmy, proposait un ratio de 3 contre 1; Elliot poussait pour 4 contre 1 ; Johnny préconisait une forte consommation de 6 contre 1.
« Ils n'étaient pas très forts », a déclaré Curtis, le petit-fils de FDR, à The History Channel. Il mettait également mis deux ou trois gouttes d’absinthe Pernod, « pour la saveur » selon sa secrétaire personnelle, Grace Tully, ce qui faisait dire à beaucoup que « Le président faisait les pires martinis qu’ils n’aient goûtés. »
Roosevelt devait bien les aimer, cependant. Le président était souvent emmené dans sa chambre à la Maison Blanche par des hommes des services secrets alors qu'il chantait des chansons de combat au collège.
FDR a toujours mélangé les boissons lors de ces événements, en utilisant souvent le shaker et les tasses en argent chinois vus ci-dessus. Le président a particulièrement apprécié de faire des martinis inhabituels, en mélangeant de grandes quantités de vermouth avec la liqueur ou le jus qu'il avait sous la main. Il était également connu pour ajouter quelques gouttes d'absinthe "pour la saveur" selon sa secrétaire personnelle, Grace Tully. La bouteille d'absinthe Pernod vue ici provient du plateau d'alcool de FDR à la Maison Blanche.
FDR s'est même livré à sa pratique lors des réunions diplomatiques. «Il fait froid sur le ventre», aurait déclaré Staline, après avoir été servi à l'une des préparations du FDR à la conférence de Téhéran.
« Le critique et éditeur Bernard DeVoto l’appelait « le cadeau suprême de l’Amérique à la culture mondiale. »
E.B. White admettait qu’il en buvait comme d’autres prennent de l’aspirine.
Certains dévots lui donnent des surnoms affectueux tels que see-through (le transparent), silver bullet (balle d’argent) ou comme l’appelait le peintre Sheridan Lord qui en buvait un chaque soir, « direct du droit au cœur ».
« Tout martini est une création, un travail entièrement manuel ; il est préférable de ne pas en faire plus de deux à la fois. Il est également préférable de n’en boire qu’un, autrement tout devient flou. Comme disait James Thurber, « Un martini ça va ; deux, c’est trop ; et trois, ce n’est pas assez. »
« Ne préparez jamais le martini à l’avance, cette merveilleuse fraîcheur en serait absente. Toujours selon DeVoto : « Conserver un martini au réfrigérateur, c’est tout aussi impossible que d’y conserver un baiser. »
Source des dernières citations : Chaque jour est un festin de James Salter&Kay Salter
Le "Vesper" de l'agent 007 est réalisé à base de gin, de vodka et de vermouth. JULIE BALAGUÉ POUR M LE MAGAZINE DU MONDE
Le Martini de James Bond
Ecrivain culinaire éprise de romans policiers et de cinéma, Claire Dixsaut décrypte les films et leurs personnages à travers le prisme de la gastronomie. Une passion qui remonte à la découverte du cocktail favori de 007.
M le magazine du Monde | 11.05.2015
Par Camille Labro
« Je devais avoir 13 ou 14 ans. Comme tous les ans, je passais l'été chez mes grands-parents, à La Baule, et je me nourrissais de polars. C'était le petit plaisir coupable de mes vacances. Mon père, professeur de littérature anglaise, m'avait suggéré de lire les James Bond de Ian Fleming. Je me suis donc plongée dans le premier de la série, Casino Royale, publié en 1953. Au chapitre 7, James Bond commande un Martini dry (c'est le premier du roman), en détaillant au barman les ingrédients, les mesures et la méthode de préparation qu'il souhaite. Ce fut un choc.
Je n'avais aucune idée du goût que cela pouvait avoir, mais je découvrais pour la première fois comment les mots pouvaient créer la gourmandise, et comment une recette pouvait définir un personnage. A travers cette scène, ce cocktail – qui n'est même pas un vrai Martini, puisqu'il mêle le gin et la vodka –, et cette recette généreuse et précise, tout le caractère de 007 se profile. C'est un homme d'action qui aime la bonne chère, boire toutes sortes d'alcools, et qui devient un genre de guide du savoir-vivre et du savoir-voyager puisque, où qu'il soit, James Bond mange local et fait ainsi découvrir les gastronomies du monde. »
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